Monday 18 February 2013

Québec : de la grève générale au sommet de la concertation!



La puissante grève générale des étudiantes et étudiants du Québec s'est conclue par le renversement du gouvernement Charest et l'annulation de la hausse des frais de scolarité universitaires. Pour autant, cette victoire a laissé un goût amer parmi les militantes et les militants qui ont été les plus dévoué-es au combat. Comme toute victoire sous le capitalisme, celle-ci n'est jamais totalement acquise. Champion des « grand-messes » et de la concertation, le gouvernement péquiste prépare un sommet à la suite duquel il compte annoncer une nouvelle hausse des frais de scolarité.

Au lendement des élections, la promesse déjà bidon de grands États généraux qui « réuniraient tous les acteurs de l'Éducation », ce qui excluent de facto la majorité des étudiant-es, des jeunes et des masses populaires en générale. Malgré la poursuite de la grève à certains endroits isolés, notamment à la Faculté des Arts à l'UQAM, les enjeux n'étaient plus assez brûlants pour continuer le mouvement (pour une analyse du mouvement en soi, on peut se référer à http://www.mer-pcr.com/2012/08/le-point-sur-la-greve-etudiante-et-le.html ). Au niveau personnel, le début de l'automne a été exigeant pour plusieurs militants, plusieurs militantes, notamment à cause du parachèvement des sessions, dans des horaires impossibles qui encourageaient à l'évidence le décrochage et l'abandon, combiné au fait que la soi-disant « aide » financière aux études à alors couper les vivres de tous les étudiant-es des campus en grève, y compris bien évidemment les parents étudiant-es.

Il y a certes eu des victoires dans cette lutte, en particulier le discrédit de la bourgeoisie comme classe opposée à nos intérêts ou encore le choix d'une légitimité de type populaire contre la légalité des institutions de l'État. Ce sont des victoires importantes qui combinées au degré élevé de combattivité sociale auront vraisemblablement des répercussions sur la façon dont la classe ouvrière lutte, au Québec et au Canada. En même temps, force est de constater que dans son ensemble, le mouvement n'a pas su tirer de bilan politique de l'expérience, ce qui laisse malheureusement supposer que la prochaine lutte étudiante sera probablement la prochaine répétition des mêmes événements.

Depuis, il y a peu de mouvement. Certains campus avaient adopté des mandats de grève, symboliques, pour les 22 du mois; peu de mots d'ordre ont été rassembleurs. Malgré tout, l'ASSÉ s'impose depuis comme centre hégémonique politique chez les étudiants. D'une part, ce résultat est d'une part du à son leadership certain dans la grève, notamment parce qu'elle reste la forme d'organisation qui semble être partisane des formes de démocratie nouvelle et de nouvelle combattivité sociale. D'autre part, les efforts et le temps investis par plusieurs personnes se réclamant de l'extrême-gauche , autant à l'intérieur qu'à l'extérieur des structures asséistes, à critiquer les instances, les individus, les orientations que prennent cette organisation (qui reste et restera une de type légale et réformiste) contribuent à braquer tous les projecteurs sur la façon de sauver la barque de l'ASSÉ. Pourtant, la réalité sociale de la jeunesse (étudiante ou travailleuse) et la crise toujours persistante du capitalisme mondial laisse bien voir que même les lignes les plus radicales de l'ASSÉ ne sauront être une solution adéquate.

On assiste également à la débandade de la FECQ, plusieurs associations étudiantes membres ont entrepris des démarches de désaffiliation, notamment à cause de son incapacité à récupérer efficacement les éléments les plus modérés du mouvement et à sa stratégie lamentable de collaboration de classe. À l'inverse, la FEUQ a peut-être marqué quelques points, notamment en se posant comme un « interlocuteur fiable »; soyons clair, elle a marqué des points chez ceux et celles qui aspirent à faire partie de la prochaine génération de dirigeants et de dirigeantes. L'automne a également été marqué par les événements autour de ce qui a été appelé la semaine internationale contre la marchandisation de l'éducation, notamment par le Comité aux luttes sociales de l'ASSÉ qui avait alors des visées plus anti-impérialistes et internationalistes. Toutefois, malgré certaines manifestations et des journées de grève dans les assos les plus militantes, il n'y avait pas de réels enjeux associés à cette semaine et par conséquent, elle est vite tombé dans l'oubli. Les luttes contre les mesures d'austérité, notamment en ce qui concerne l'assurance-chômage ou des mouvements autochtones comme Idle No More ont suscité l'intérêt et l'appui de plusieurs centaines d'étudiants et d'étudiants, mais encore une fois, sans se traduire dans une réelle mobilisation ou encore dans des tentatives d'organisation durable.

Pour le Parti Québécois, ce sommet est très clairement une bête tentative de manipulation qui montre à chaque jour davantage le ridicule de l'événement. Ce gouvernement tente depuis plusieurs mois désormais de s'imposer en tant que seul gardien de la paix sociale. On le voit avec Duchesne, le ministre de l'éducation supérieure, qui prend bien soin de répéter un peu partout que « l'heure n'Est plus à la confrontation mais à la discussion ». Pourtant, il est évident que la stratégie du PQ est d'augmenter les frais de scolarité au maximum de ce qui est faisable sans susciter trop la colère du peuple; ainsi, les formules comme « l'indexation, c'est le gel », ou « ce qui compte, c'est réduire l'endettement », servent de fourre-touts à des augmentations qui prendront différents noms, mais qui représenteront certainement des frais supplémentaires pour les étudiants et les étudiantes. On n'a qu'à penser aux résolutions adoptées par le Conseil des jeunes du PQ qui proposaient le gel dans la perspective de réductions des frais, et qui ont vite été récupérés par Pauline comme un appui à l'indexation. Depuis des décennies maintenant, le PQ est le champion dans l'institutionnalisation de la collaboration de classes, qu'on renomme « partenaires sociaux ». Il est par ailleurs de plus en plus difficile de voir comment la FECQ et la FEUQ qui ont garantie leur présence et leur participation au sommet arriveront à négocier quoi que ce soit, en dehors de quelques miettes.

Quant à l'ASSÉ, même si elle a depuis confirmé qu'elle ne participerait pas au sommet, sa position floue des dernières semaines traduit l'importance qui est désormais accorder au fait de marquer des points, de se positionner comme un joueur important sur la scène politique québécoise. Malgré la méfiance envers le gouvernement et son sommet, la tentation d'être écouter et de participer à la machine gouvernementale allait de pair avec la défense de la gratuité scolaire comme une option valable à même le capitalisme et non plus simplement, comme une revendication légitime des classes populaires. Pour se faire, l'ASSÉ est même allé jusqu'à souligner que l'argent économisé par l'état en abolissant les crédits d'impôts et les bourses permettrait de financer la gratuité. Pendant tout l'automne, des affiches de l'ASSÉ ont circulé en mettant de l'avant que la gratuité scolaire « n'est pas radicale », se dissociant par le fait même de la frange radicale du mouvement, ou encore en faisant l'apologie de pays impérialistes soi-disant sociaux-démocrates qui offrent la gratuité, comme la France ou la Suède. Pendant la grève étudiante, l'ASSÉ a assuré un leadership exemplaire dans le cadre d'une lutte réformiste. Toutefois, il est désormais de plus en plus évident que l'ASSÉ ne pourra pas générer un progrès plus grand dans la lutte sociale, en particulier face aux gouvernements et à leurs mesures d'austérité grandissantes. Sans s'attarder ici à cette analyse, on comprendra que désormais, l'ASSÉ souhaite se positionner en tant qu'acteur crédible, en tant que gestionnaire de la réalité capitaliste, croyant que la lutte se mène au fond dans le débat public et qu'ainsi leurs arguments finiront par triompher. Au final, cette idéologie est profondément liée à Québec Solidaire. On a d'ailleurs entendu Françoise David dénoncer la mauvaise foi du PQ et rappeler encore une fois que seul QS offrirait de véritables forums citoyens. C'est donc encore une fois le cul-de-sac réformiste.

Ce qu'on peut comprendre de la conjoncture actuelle, c'est qu'au final, l'État a ramené beaucoup de gens dans son enclos, dans le maintien de son système et de ses institutions, et le discrédit du Parti Libéral reste bien secondaire. On l'a malheureusement vu dans les taux de participations plus élevées aux dernières élections, qui servaient en plus dans le contexte particulier à légitimiser le gouvernement. Ce processus a par ailleurs permis d'évacuer complètement la dimension anticapitaliste du mouvement et sa frange plus radicale, en ramenant le tout à un simple débat d'idée. On peut même malheureusement penser que certaines personnes doutent à savoir qu'au fond, c'est la concertation et les élections qui auront été plus efficaces que la rue. Cela ne veut pas dire qu'il n'y a pas eu d'acquis pendant la grève; la remise en cause d'une frange de la bourgeoisie, la question de la prédominance de la légitimité des assemmblées de type populaire versus la légalité des institutions légales et le haut degré de combattivité qu'a pris plusieurs événements sont des expériences importantes, qui, souhaitons-le, seront transmises aux prochaines cohortes d'étudiant-es. Mais cette défaite à tirer des bilans politiques, c'est aussi la nôtre; cela signifie que dans les grandes lignes, la prochaine grève étudiante sera sensiblement une répétition, probablement plus faible d'ailleurs, de la grève de 2012. Encore aujourd'hui, il est important de rappeler que le débat ne doit pas se situer entre « concertation ou contestation », mais bien sur le terrain de la lutte des classes, en se demandant si nos actions contribuent à défier le pouvoir bourgeois, son État et ses lois, ou bien à l'inverse à le renforcir, même si cela se fait derrière une position d'apparence critique.