La puissante grève
générale des étudiantes et étudiants du Québec s'est conclue par
le renversement du gouvernement Charest et l'annulation de la hausse
des frais de scolarité universitaires. Pour autant, cette victoire a
laissé un goût amer parmi les militantes et les militants qui ont
été les plus dévoué-es au combat. Comme toute victoire sous le
capitalisme, celle-ci n'est jamais totalement acquise. Champion des
« grand-messes » et de la concertation, le gouvernement
péquiste prépare un sommet à la suite duquel il compte annoncer
une nouvelle hausse des frais de scolarité.
Au
lendement des élections, la promesse déjà bidon de grands États
généraux qui « réuniraient tous les acteurs de
l'Éducation », ce qui excluent de facto la majorité des
étudiant-es, des jeunes et des masses populaires en générale.
Malgré la poursuite de la grève à certains endroits isolés,
notamment à la Faculté des Arts à l'UQAM, les enjeux n'étaient
plus assez brûlants pour continuer le mouvement (pour une analyse du
mouvement en soi, on peut se référer à
http://www.mer-pcr.com/2012/08/le-point-sur-la-greve-etudiante-et-le.html
). Au niveau personnel, le début de l'automne a été exigeant pour
plusieurs militants, plusieurs militantes, notamment à cause du
parachèvement des sessions, dans des horaires impossibles qui
encourageaient à l'évidence le décrochage et l'abandon, combiné
au fait que la soi-disant « aide » financière aux études
à alors couper les vivres de tous les étudiant-es des campus en
grève, y compris bien évidemment les parents étudiant-es.
Il y
a certes eu des victoires dans cette lutte, en particulier le
discrédit de la bourgeoisie comme classe opposée à nos intérêts
ou encore le choix d'une légitimité de type populaire contre la
légalité des institutions de l'État. Ce sont des victoires
importantes qui combinées au degré élevé de combattivité sociale
auront vraisemblablement des répercussions sur la façon dont la
classe ouvrière lutte, au Québec et au Canada. En même temps,
force est de constater que dans son ensemble, le mouvement n'a pas su
tirer de bilan politique de l'expérience, ce qui laisse
malheureusement supposer que la prochaine lutte étudiante sera
probablement la prochaine répétition des mêmes événements.
Depuis,
il y a peu de mouvement. Certains campus avaient adopté des mandats
de grève, symboliques, pour les 22 du mois; peu de mots d'ordre ont
été rassembleurs. Malgré tout, l'ASSÉ s'impose depuis comme
centre hégémonique politique chez les étudiants. D'une part, ce
résultat est d'une part du à son leadership certain dans la grève,
notamment parce qu'elle reste la forme d'organisation qui semble être
partisane des formes de démocratie nouvelle et de nouvelle
combattivité sociale. D'autre part, les efforts et le temps investis
par plusieurs personnes se réclamant de l'extrême-gauche , autant à
l'intérieur qu'à l'extérieur des structures asséistes, à
critiquer les instances, les individus, les orientations que prennent
cette organisation (qui reste et restera une de type légale et
réformiste) contribuent à braquer tous les projecteurs sur la façon
de sauver la barque de l'ASSÉ. Pourtant, la réalité sociale de la
jeunesse (étudiante ou travailleuse) et la crise toujours
persistante du capitalisme mondial laisse bien voir que même les
lignes les plus radicales de l'ASSÉ ne sauront être une solution
adéquate.
On
assiste également à la débandade de la FECQ, plusieurs
associations étudiantes membres ont entrepris des démarches de
désaffiliation, notamment à cause de son incapacité à récupérer
efficacement les éléments les plus modérés du mouvement et à sa
stratégie lamentable de collaboration de classe. À l'inverse, la
FEUQ a peut-être marqué quelques points, notamment en se posant
comme un « interlocuteur fiable »; soyons clair, elle a
marqué des points chez ceux et celles qui aspirent à faire partie
de la prochaine génération de dirigeants et de dirigeantes.
L'automne a également été marqué par les événements autour de
ce qui a été appelé la semaine internationale contre la
marchandisation de l'éducation, notamment par le Comité aux luttes
sociales de l'ASSÉ qui avait alors des visées plus
anti-impérialistes et internationalistes. Toutefois, malgré
certaines manifestations et des journées de grève dans les assos
les plus militantes, il n'y avait pas de réels enjeux associés à
cette semaine et par conséquent, elle est vite tombé dans l'oubli.
Les luttes contre les mesures d'austérité, notamment en ce qui
concerne l'assurance-chômage ou des mouvements autochtones comme
Idle No More ont suscité l'intérêt et l'appui de plusieurs
centaines d'étudiants et d'étudiants, mais encore une fois, sans se
traduire dans une réelle mobilisation ou encore dans des tentatives
d'organisation durable.
Pour
le Parti Québécois, ce sommet est très clairement une bête
tentative de manipulation qui montre à chaque jour davantage le
ridicule de l'événement. Ce gouvernement tente depuis plusieurs
mois désormais de s'imposer en tant que seul gardien de la paix
sociale. On le voit avec Duchesne, le ministre de l'éducation
supérieure, qui prend bien soin de répéter un peu partout que
« l'heure n'Est plus à la confrontation mais à la
discussion ». Pourtant, il est évident que la stratégie du PQ
est d'augmenter les frais de scolarité au maximum de ce qui est
faisable sans susciter trop la colère du peuple; ainsi, les formules
comme « l'indexation, c'est le gel », ou « ce qui
compte, c'est réduire l'endettement », servent de fourre-touts
à des augmentations qui prendront différents noms, mais qui
représenteront certainement des frais supplémentaires pour les
étudiants et les étudiantes. On n'a qu'à penser aux résolutions
adoptées par le Conseil des jeunes du PQ qui proposaient le gel dans
la perspective de réductions des frais, et qui ont vite été
récupérés par Pauline comme un appui à l'indexation. Depuis des
décennies maintenant, le PQ est le champion dans
l'institutionnalisation de la collaboration de classes, qu'on renomme
« partenaires sociaux ». Il est par ailleurs de plus en
plus difficile de voir comment la FECQ et la FEUQ qui ont garantie
leur présence et leur participation au sommet arriveront à négocier
quoi que ce soit, en dehors de quelques miettes.
Quant
à l'ASSÉ, même si elle a depuis confirmé qu'elle ne participerait
pas au sommet, sa position floue des dernières semaines traduit
l'importance qui est désormais accorder au fait de marquer des
points, de se positionner comme un joueur important sur la scène
politique québécoise. Malgré la méfiance envers le gouvernement
et son sommet, la tentation d'être écouter et de participer à la
machine gouvernementale allait de pair avec la défense de la
gratuité scolaire comme une option valable à même le capitalisme
et non plus simplement, comme une revendication légitime des classes
populaires. Pour se faire, l'ASSÉ est même allé jusqu'à souligner
que l'argent économisé par l'état en abolissant les crédits
d'impôts et les bourses permettrait de financer la gratuité.
Pendant tout l'automne, des affiches de l'ASSÉ ont circulé en
mettant de l'avant que la gratuité scolaire « n'est pas
radicale », se dissociant par le fait même de la frange
radicale du mouvement, ou encore en faisant l'apologie de pays
impérialistes soi-disant sociaux-démocrates qui offrent la
gratuité, comme la France ou la Suède. Pendant la grève étudiante,
l'ASSÉ a assuré un leadership exemplaire dans le cadre d'une lutte
réformiste. Toutefois, il est désormais de plus en plus évident
que l'ASSÉ ne pourra pas générer un progrès plus grand dans la
lutte sociale, en particulier face aux gouvernements et à leurs
mesures d'austérité grandissantes. Sans s'attarder ici à cette
analyse, on comprendra que désormais, l'ASSÉ souhaite se
positionner en tant qu'acteur crédible, en tant que gestionnaire de
la réalité capitaliste, croyant que la lutte se mène au fond dans
le débat public et qu'ainsi leurs arguments finiront par triompher.
Au final, cette idéologie est profondément liée à Québec
Solidaire. On a d'ailleurs entendu Françoise David dénoncer la
mauvaise foi du PQ et rappeler encore une fois que seul QS offrirait
de véritables forums citoyens. C'est donc encore une fois le
cul-de-sac réformiste.
Ce
qu'on peut comprendre de la conjoncture actuelle, c'est qu'au final,
l'État a ramené beaucoup de gens dans son enclos, dans le maintien
de son système et de ses institutions, et le discrédit du Parti
Libéral reste bien secondaire. On l'a malheureusement vu dans les
taux de participations plus élevées aux dernières élections, qui
servaient en plus dans le contexte particulier à légitimiser le
gouvernement. Ce processus a par ailleurs permis d'évacuer
complètement la dimension anticapitaliste du mouvement et sa frange
plus radicale, en ramenant le tout à un simple débat d'idée. On
peut même malheureusement penser que certaines personnes doutent à
savoir qu'au fond, c'est la concertation et les élections qui auront
été plus efficaces que la rue. Cela ne veut pas dire qu'il n'y a
pas eu d'acquis pendant la grève; la remise en cause d'une frange de
la bourgeoisie, la question de la prédominance de la légitimité
des assemmblées de type populaire versus la légalité des
institutions légales et le haut degré de combattivité qu'a pris
plusieurs événements sont des expériences importantes, qui,
souhaitons-le, seront transmises aux prochaines cohortes
d'étudiant-es. Mais cette défaite à tirer des bilans politiques,
c'est aussi la nôtre; cela signifie que dans les grandes lignes, la
prochaine grève étudiante sera sensiblement une répétition,
probablement plus faible d'ailleurs, de la grève de 2012. Encore
aujourd'hui, il est important de rappeler que le débat ne doit pas
se situer entre « concertation ou contestation », mais
bien sur le terrain de la lutte des classes, en se demandant si nos
actions contribuent à défier le pouvoir bourgeois, son État et ses
lois, ou bien à l'inverse à le renforcir, même si cela se fait
derrière une position d'apparence critique.